12/03/2015

12 mars au 12 avril 2015
RL STREAMLINE LIFE
Esthétique Industrielle et Fiction
ou comment Raymond Loewy a designé sa vie


Programmation officielle IN
Biennale Internationale de Design 2015, Saint-Etienne.

"Aucun produit conçu par Raymond Loewy, le designer le plus talentueux au monde, n’a jamais été plus soigneusement designé (et conditionné) que Loewy lui-même" 1.

Dès la fin des années 1930, image publique et vie privée se confondent dans la stratégie de communication de Raymond Loewy, jusqu’à faire de lui-même un objet de design, s’effaçant en partie au profit d’un personnage fictionnel. Comme le souligne Laura Cordin : "ce pionnier du marketing, soucieux de façonner sa propre image comme le plus réussi des produits finis, a soigneusement enfoui tout ce qui touchait à son moi profond" 2. Pourtant, ce détournement de sa propre image révèle aussi l’intimité et l’univers personnel d’un esthète passionné, submergé par sa pratique de créateur.

Pour assurer cette maîtrise presque obsessionnelle de son image, Loewy peut compter sur l’énergie et les conseils de l’une de ses plus fidèle collaboratrice : "en 1940, [ il ] engagea une conseillère en Relations Publiques, Betty Reese, qui garda ce poste pendant 28 ans et construisit ce que l’on a appelé la Légende Loewy. Et quelle légende !" 3.

Ainsi, le célèbre numéro de Time magazine du 31 octobre 1949, et sa couverture culte, sont l’aboutissement d’un défi lancé à Betty Reese au moment de son arrivée chez RL Company neuf ans plus tôt. L’article consacré à Loewy, biggest industrial designer in the US, commence chez lui avec sa nouvelle jeune épouse Viola, au début d’une journée dans leur appartement de New York, et s’accompagne d’une photo dont la légende revendique cette immersion dans l’intimité du couple, en peignoirs : "The Loewys at home (with buttler-valet Karl Huzala) - Through the looking glass" 4. De l’autre coté du miroir !

Derrière l’objectif, plusieurs grands noms de la photo de presse ou d’architecture, selon les moments et les lieux : de Julius Shulman, photographe du modernisme californien et des Case Study Houses, au duo beau-père/gendre Gottscho-Schleisner de Brooklyn, photographes quasi attitrés du département architecture de RL Associates, de Bill Anderson, photographe de la jet-set, de la Chambre de Commerce et du Racket Club Hotel de Palm Springs où Loewy réside régulièrement avant d’y construire sa maison, à Slim Aarons intime des people et du gotha international, ou des photographes de magazines, comme Herbert Gehr ou Eileen Darby pour Life, auxquels Loewy fait appel, quand ils ne viennent pas à lui directement.

Parmi les centaines, voire les milliers d’images, outils de travail ou de promotion de RL Associates, produites entre les années 1940 et 1970, certaines mettent ainsi en scène plus clairement l’univers intime de Raymond Loewy, à commencer par celles dont le cadre ou l’objet concernent le domaine privé ; ses résidences et ses voitures personnelles.

En vingt ans, de 1946 à 1966, six voitures sont réalisées à partir de véhicules de série, en collaboration avec des ateliers d’artisans carrossiers, pour l’usage strictement privé des Loewy. Ces custom cars, modèles uniques élaborés aux Etats Unis, en France ou en Italie, seront utilisés par la famille sur des périodes et des distances plus ou moins longues en Europe et aux USA, entre Paris et New York, Palm Springs, Mexico city, Rochefort en Yvelines et Saint-Tropez.

Entre les années 1930 et 1960, Raymond Loewy acquiert, construit et modifie pas moins de sept maisons et appartements en fonction de ses séjours réguliers en Amérique et en France, offrant des cadres de vie savamment différenciés, plus ou moins intimistes, pour les réceptions mondaines, les week-end entre amis, ou les vacances en famille.

Voitures personnelles et résidences privées feront toutes l’objet de séries de prises de vues systématiques, et multiples, largement publiées en marge des productions des agences de Loewy, pour diffuser son travail de designer. Elles révèlent les différentes facettes du personnage, entre réalité et fiction, entre communication et vie privée, entre image publique et représentation personnelle.

Pour la figuration aussi, Loewy n’hésite pas à convoquer ses proches : le valet-chauffeur Karl Huzala encore, au volant de la Lincoln Continental personnalisée de 1946, photographiée à Central Park (Vachon photographe), Helen Peters, secrétaire de direction de 1938 à 1959, avec Loewy à bord de la même Lincoln, dans la propriété du designer à Sands Point, Long Island pour Life magazine (photo. Herb Gehr), ou ses épouses, Jean Thomson avant 1945, puis Viola Erickson, et leur fille Laurence, au bord de la piscine à Palm Springs ou à Saint-Tropez. Et bien sûr Betty Reese toujours prompte à se prêter au jeu.

A travers ces images (photographies et films extraits des archives d’ILIÔM/Frédérique Bompuis), mises en scène pour la presse ou la télévision, ou home movies réalisés par Loewy lui-même ou son entourage, affleurent par delà la construction fictionnelle, les inclinaisons esthétiques subjectives du designer : ses sens du beau.

1; The Great Packager, Life magazine 2 mai 1949 p110
2. Laura Cordin in. Raymond Loewy, Flammarion, Paris 2003 p10
3. Elysabeth Reese, in. Raymond Loewy un Pionnier du Design Américain, Centre Georges Pompidou, Paris 1990 p32
4. Up From the Egg, Time magazine, 31 octobre 1949 p68

texte : Catalogue Biennale Internationale de Design Saint Etienne 2015 - les Sens du Beau, sous la direction de Benjamin Loyauté
images : Raymond Loewy, Designer du Rêve Américain. Arte France, les Films du Tambour de Soie, ILIÔM 2017 
illustration : A—D— 

http://www.biennale-design.com/saint-etienne/2015/fr/biennale-in/?ev=raymond-loewy-streamline-life-11

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